En 1969 est arrivé sur la scène musicale québécoise un ovni: L'infonie. Ce groupe dirigé par Walter Boudreau, avait une façon très originale de faire de la Pop.
Beaucoup a été dit et écrit sur ce groupe. Ils ont laissé derrière eux quatre albums (de 1969 à 74), un manifeste (Le manifeste de l'infonie (1970), un film (Ô ou l'invisible enfant (1973)), un documentaire à été fait sur eux (L'infonie inachevée (1974)). Raoûl Duguay à fait paraître un livre "L'infonie, le bouttt de touttt" (2000). Le premier et troisième albums ont été réédités en CD sur l'étiquette Mucho Gusto (2000-01)
.
Bref beaucoup de matière, mais peu a été dit sur comment leur première année d'existence était Pop. Après 1969, Walter Boudreau et l'infonie prendront un virage vers une musique "contemporaine" avec le 2-3 et 4ième album.
Cet article à simplement pour but d'examiner cette première année: 1969. J'ai interviewer Walter Boudreau pour en savoir d'avantage sur les premiers balbutiements Pop de cet incroyable groupe.
PSYQUÉBÉLIQUE : En 1968 on vous découvre
en Quatuor de Jazz (Walter Boudreau + 3 = 4). L'année suivante paraît le premier
disque de l’infonie. Est-ce que ces deux projets ce sont chevauché ?
WALTER BOUDREAU : Sans
vraiment se chevaucher, l’un (quatuor de jazz) a été rapidement supplanté par
l’autre (Infonie).
PSYQ :
Comment vous est venue
l'idée de former un Quatuor de Free Jazz ?
WB : Mon quatuor n’en était pas vraiment un de Free Jazz, malgré la présence
d’improvisations « libres » vraisemblablement influencées par John
Coltrane, Ornette Coleman, Eric Dolphy, Archie Shepp et autres solistes avant-gardistes
du Jazz de la fin des années 60.
PSYQ :
Est-ce que le
"Quatuor de Jazz libre du Québec" était une influence ?
WB : Non, mais nous partagions assurément des objectifs similaires.
PSYQ : Qu'est-ce qu'il y avait de similaire entre ces deux groupes ?
WB : Le besoin viscéral d’une expression totalement débridée !
PSYQ : Quel était selon vous la différence majeur entre votre Quatuor et celui du Jazz libre du Québec ?
WB : Je crois que nous étions plus « structurés » (malgré tout…) avec une certaine présence d’éléments plus « traditionnels » dans nos musiques tels la pulsation, les modulations harmoniques et la forme, etc.
PSYQ :
Quel genre de relation
aviez-vous eu avec le Quatuor de Jazz libre du Québec ?
WB : Très amicales, conviviales sur le plan professionnel et personnel.
PSYQ: Pourquoi retrouve t’on des membres du quatuor de Jazz libre sur le premier enregistrement de l’Infonie (Jean Préfontaine, Yves Charbonneau, Guy Thouin) ? Pourquoi avoir choisi ces trompettiste / contrebassiste / batteur-là en particulier ?
WB: Tout simplement parce que nous avions déjà commencé à réunir nos forces autour de mon groupe de Jazz et que l’Infonie est le résultat concret de cette "fusion".
PSYQ : Quel a été le tout premier
enregistrement de l'Infonie ?
WB : « L’Infonie » sur
étiquette POLYDOR
PSYQ: Il y a aussi eu un 45t de L’infonie (sur Polydor), est-il sorti avant ou après le LP ?
WB: Ils sont vraisemblablement parus simultanément, si ma mémoire est bonne.
PSYQ : Combien de temps AVANT le disque de
Polydor avait commencé les activités de l'infonie ?
WB : Très peu, car mon quatuor
de jazz évoluait rapidement avec l’ajout de musiciens ainsi que “d’extras”
(dont Raôul [Duguay] n’étant pas le moindre...) et mes concerts devenaient peu à peu
des sortes de “happening” mêlant musiques variées, poésie, théâtre et même
projections d’images !
PSYQ :
Comment passe t'on de
composition de Jazz débridée (ex: Boulevard Chaumont 1968 / Quatuor jazz) à
de la pop électronique (ex: "J'ai perdu 15 cents..." 1969 / L'infonie) ?
WB : Facilement, quand on a l’esprit ouvert…
PSYQ : En 1969, vous avez fait la trame
sonore de deux films de Jean-Pierre Lefèbvre: (La chambre Blanche, Q-Bec My Love).
Sur la 45t de "La chambre blanche",
L'infonie est écrit avec un "PH" au lieu du "F" habituel,
est-ce que c'était l'orthographe d'origine ou une faute de frappe ?
WB : C’était l’orthographe
d’origine qui a rapidement été changée par la suite.
PSYQ : Si l'orthographe d'origine était
inPHonie (tel qu'écrit sur le 45t "La chambre blanche"); serait-ce possible que ce disque soit paru avant celui sur Polydor ?
WB : Je n’en ai vraiment
aucune idée...
PSYQ : Également sur le 45t de "La
chambre blanche", Denis Lepage chante sur la pièce "This Ain't No
Cinerama Baby" (et non Raôul Duguay), pourquoi cette collaboration ?
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Denis Lepage 1969 |
WB : Denis Lepage était un
trompettiste de talent avec qui je collaborais à l’occasion. De plus, il
chantait, alors…
PSYQ : Est-ce que Raôul Duguay faisait
parti de l'infonie dès le début ? ... au moment où Denis Lepage chantait
(en 1969) par exemple ? Corriger moi si je me trompe mais, ce n'était pas non
plus Duguay qui chantait pour la pièce "Viens danser le O.K. là"
?
WB : Oui, Raôul faisait
partie de l’infonie dès les débuts. Or nous n’étions pas “organisés” (Dieu soit
loué...) et –question de circonstances- Denis Lepage s’était avéré (outre sa
trompette) celui qui a chanté la toune en studio...
Personne ne “chante “ vraiment
dans “Viens danser le O.K. là “, outre Ysengourd Knörh qui vocifère...
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Raoul Duguay 1969 |
PSYQ : Est-ce que la participation de
Raôul Duguay s'est plutôt concrétisée à partir du 2ième album ?
WB : Oui, Raôul a été plus
“intégré” à la magistrale pièce “Paix” dans le 2e album
PSYQ : Vous avez participé à 3 trames
sonores de Jean-Pierre Lefèbvre de 1969-71(La chambre blanche,
Q-bec My Love, Les maudits sauvages), comment a
commencé cette collaboraton ?
WB : Aux
3 trames sonores mentionnées plus haut, il faut rajouter celle de Ultimatum (1973)
Grand ami de Raôul Duguay (à
l’époque...) J.P. Lefebvre était un “fan” de l’Infonie. Nous nous fréquentions
“socialement” à l’occasion et c’est à ce moment-là qu’il m’avait proposé
d’écrire la musique pour La chambre blanche
PSYQ : Y a t'il eu un enregistrement
vinyle de la trame sonore du Film de Jean-Pierre Levèbvre Q-Bec My Love ?
WB : Pas à ma connaissance
PSYQ : Comment fonctionnait la composition
à l'intérieur de l'infonie ?
WB : Je composais la
musique. Au début, il existait un climat de liberté d’intervention des
musiciens où l’improvisation tenait une place importante. Par contre, celle-ci
s’est rapidement estompée au profit d’ une écriture plus “savante”
et précise.
PSYQ : Quel(s) groupe(s) local(aux) admiriez-vous à
l'époque de l‘Infonie ?
WB : Aucun
PSYQ : Quel(s) groupe(s) étranger admiriez-vous à l'époque
de l'Infonie ?
WB : J’aimais bien Emerson, Lake &
Palmer ainsi que Zappa, mais sous toutes réserves…
PSYQ: Que vous souvenez-vous du mouvement "Ti-Pop" ? Est-ce qu’il y avait une volonté de vous inscrire dans ce mouvement avec l’infonie ?
WB: Plusieurs personnalités de mouvements « progressistes » portaient à l’époque un macaron ridiculisant le Premier Ministre Unioniste Maurice Duplessis…(Notre « Staline » Québécois…).
L’Infonie – quoique sympathique à ce mouvement – ne s’est jamais impliquée politiquement, préférant concentrer ses énergies et talents à la chose « artistique ».
PSYQ : Au tout début de l'Infonie (vers 1969-70)
avec le premier album sur Polydor, on retrouve un côté Pop, plus
"accessible" qui était moins présent à la fin du groupe en 1974 (ex: J'ai perdu 15 cents..., Viens danser le O.K. là, Q-Bec BBQ, This
Ain't No Cinerama Baby). Il y a même eu un 45t ... un single.... pour
"Viens danser le OK là".
L'infonie avait aussi fait partie de la
compilation "Les plus grands SUCCÈS canadien-français de Polydor".
Comment expliqueriez-vous la différence d'approche musicale entre le
début et la fin du groupe ? Est-ce que le producteur André Perry y était pour
quelque chose ?
WB : Non ! Je bougeais très
rapidement quant à la direction qu’allait prendre ma carrière de compositeur et
cette « aventure » dans le monde de la musique pop tirait naturellement à sa
fin puisque je me concentrais de plus en plus sur mes études en musique
contemporaine ainsi qu’en direction d’orchestre “sérieuse...”
PSYQ : Quel sont vos souvenirs entourant la composition /
enregistrements de la pièce "Q-Bec BBQ", "J'ai perdu 15
cents…" , "This ain't no cinerama" ?
WB : Rien de spécial…
PSYQ : et la pièce "Viens danser le O.K. là"
?
WB : C’est un clin d’œil au groupe
afro-américain the Marcels qui avait produit dans les années 60 une série de
merveilleuses stupidités musicales nommées « The Night Before »,
« The Night After », etc., basées sur un ostinato de basse
tenu par le pédalier de l’orgue Hammond. Plus près de nous, il y avait – entre
autres – des horreurs comme « Manon viens danser le Ska » et
autres « tubes » de la sorte. « Viens danser le O.K.-là »
est un hommage sincère de ma part à toute cette culture populaire insipide.
PSYQ: Avez-vous gardé des copies de vos trames sonores de cette époque ? Pourquoi ne sont-elles pas disponible à l'achat ?
La chambre blanche (1969)
Q-bec My Love (1969)
Les maudits sauvages (1971)
Ultimatum (1973)
WB: Ils ont tout probablement été détruits et je n’en possède pas de copies.
Je ne sais pas, ça fait tellement longtemps. Il se peut que je considérais ces musiques comme “mineures” (sauf peut-être celle de Ultimatum...) et, ne m’intéressant pas, j’ai jugé qu’elles n’intéresseraient personne...
***
En conclusion, permettons-nous d'être en désaccord au sujet du non-intérêt pour ces trames sonores de Walter Boudreau / L'infonie. Vivement une réédition de ces enregistrements s'il existent encore !
Après 1969, l'infonie changera de cap musicalement et enchainera trois albums avant de se dissoudre en 1974. Walter Boudreau quand à lui, aura une carrière de compositeur contemporain remplie d'une soixantaine d'oeuvres. Il sera également directeur artistique de la Société de la musique contemporaire du Québec à partir de 1988 et gagnera multiples honneurs bien mérité. Psyquébélique vous encourage à suivre les activités de Walter Boudreau et de la SMCQ.
Voici en téléchargement les deux premiers 45t de l'infonie (paru 1969) ainsi que la chanson thème du film "Q-bec my Love" (1969):